Regarde-la.

Regarde-la, vraiment, pas du coin de l’œil ou à la dérobée, regarde-la comme tu la regardais avant, prends le temps, oui je sais c’est dur, les nuits de merde, les couches, les cris, on oublie et on s’oublie, mais le fil est mince, c’est une funambule sur le fil de la vie, et toi aussi tu es un funambule sur le fil de la vie, un coup de vent et c’est la chute, la dégringolade.
Alors regarde-la.
Prends le temps.
Ta chérie, ton amour, ta poussinette, chouchou, ta myrtille ou je ne sais comment tu l’appelles, prends le temps, entre deux couches à changer, deux machines à faire tourner, deux impératifs qui n’en sont pas.
Pas longtemps, tente secondes, une minute, mais regarde-la vraiment, elle est belle non ? Je ne te parle pas de la beauté superficielle des magazines de mode, mais de cette beauté précieuse, fragile, un peu meurtrie, souvent, que dessine la maternité.
Ce matin-là, je l’ai regardée. On s’était levés tous les deux je ne sais combien de fois durant la nuit, elle avait des yeux de panda, la bouche écaillée de rouge, elle a mis une main devant son visage, j’ai retirée sa main, les enfants dormaient. Elle se trouvait « horrible », je l’ai trouvée belle.
Souvent, j’oublie. On se passe à côté, l’un courant à la crèche, l’autre à l’école, et c’est à peine si je lève les yeux, avant je les levais souvent, mais aujourd’hui mes paupières sont attirées vers le bas, vers nos enfants qui rampent et qui gambadent, et j’oublie de la regarder.
Ce soir, arrête-toi un instant et prends le temps. Pour elle, pour toi, pour vous. Une caresse tendre sur la joue, un sourire, lui montrer que tu la trouves belle, forte, que tu l’aimes, tout simplement.