Lettre à mes enfants.

Mes enfants, je ne sais pas dans quel monde vous allez grandir. Aujourd’hui, c’est la merde. L’horreur, même, parfois. On sort de deux ans de pandémie, et on entre dans une guerre. 1918 inversé. 100 ans plus tard. On ne peut pas ouvrir les infos sans avoir un décompte des morts. Le pire, pour un jeune papa comme moi, c’est d’entendre que des enfants sont morts. Là, ça se glace dans mon sang. L’autre jour, l’armée russe a bombardé une maternité. Il n’y a vraiment aucune limite dans la folie humaine.

Avec Maman nous sommes inquiets, mais on essaie de ne pas vous le montrer. C’est notre rôle : continuer à cultiver votre innocence, dans notre cocon de rires et de jeux. Faire barrage. Vous protéger. Il y a un âge pour s’informer et s’inquiéter, et un âge pour rêver et jouer. Chaque soir, chaque matin, vous nous aidez à quitter le premier pour le second.

Pour vous, moi aussi je me bats. Pas avec des armes, mais avec mes mots. Oh je n’arrêterai pas la guerre. Et je n’empêcherai pas une autre pandémie d’arriver. Mais j’essaie, à mon minuscule niveau, de bousculer un peu les préjugés. Pour que toi, mon petit Swann, puisses jouer à la poupée sans subir la pression de regards moqueurs, étonnés. Et pour que toi, ma petite Ambre, puisses rêver de devenir astronaute, ou chirurgienne, ou footballeuse, sans t’auto-censurer, ou penser que tu n’es pas faites pour cela sous prétexte que tu es une fille.

En ce moment, avec Maman, nous sommes fatigués. Il faut dire que vous êtes tous deux remplis d’une énergie débordante, qui semble croître à mesure que la nôtre diminue. Ce n’est pas facile tous les jours. Pour être honnête, il m’arrive parfois de penser à mes jeunes années, quand la vie n’était pas encore une course folle entre l’école, la crèche, le boulot. Cela me fait sourire. Comment quelques petits kilos d’amour et de larmes peuvent renverser une existence.

Rassurez-vous, je n’ai aucune nostalgie. J’ai certes perdu un peu de liberté, un peu d’insouciance, un peu d’heures de sommeil. Mais j’ai gagné en retour le privilège inestimable de vous aimer éternellement.