(Not so) Easy Jet – Première partie

novembre 12, 2019

Après de merveilleuses vacances à Barcelone, chez nos amis locaux Raph et Léo, il est temps pour nous de repartir. Dix jours de soleil, de balades dans le Barrio Gótico, de farniente sur les plages de Montgat, si propres et calmes en cette saison. Dix jours sans aucun problème, si ce n’est un rhume qui a failli dégénérer en otite. Mais l’air de la mer aura eu raison de lui. 

En me levant ce matin, je réalise à quel point ce constat est étrange : aucun problème, en dix jours. Normalement, à chaque fois que nous venons à Barcelone, notre vie devient plus trépidante qu’un épisode de Game of Thrones – le dernier de la série, surtout. Par exemple, l’année dernière, notre vol de retour a été annulé alors que nous nous apprêtions à embarquer, et Marianne a dû passer son écho du premier trimestre à la clinique Dexeus. Et, une autre année, nous avons fait le tour des commissariats à la recherche d’un cousin disparu. Une autre fois, encore, je me suis démis l’épaule sur un terrain de basket. C’est une sorte de gitan, en passant son t-shirt sous mon bras, qui me l’a remise. Il nous arrive ce genre de choses, lorsque nous venons à Barcelone. Mais cette année, rien. « Pourvu que ça dure » dis-je à bébé, la posant sur le tapis du salon, et me dirigeant moi-même vers la cuisine. 

Je ne croyais pas si bien dire. 

À peine l’ai-je posée sur le tapis du salon, donc, que j’’entends un bruit. Une sorte de râle, comme si quelqu’un s’étouffait quelque part. Je sors de la cuisine, et retourne en trombe dans le salon. Ambre, le visage écarlate, n’arrive plus à respirer. Un sentiment de peur infinie, de terreur ultime, s’engouffre en moi. Me brise les jambes, la voix. Mon Dieu, ma fille. Est-ce qu’elle a avalé quelque chose ? Pourtant, j’avais fait attention à ne rien laisser traîner. Peut-être une bille du jeu de dames chinoises, oubliée sous le canapé ? Je la prends contre moi et fonce dans la chambre. 

« Ambre ne peut plus respirer. » 

C’est faux, elle respire. Avec difficulté, la poitrine horriblement creusée, mais elle respire. Marianne bondit hors du lit. C’est la lionne, qui sent son petit en danger. Pas le temps de pleurer, de paniquer. Elle m’arrache Ambre des bras, et prodigue les gestes de premiers secours. Elle les connaît. Je les connais aussi, mais je la laisse faire. Pendant ce temps, je me rue de l’autre côté de l’appartement, dans la chambre de nos amis qui dorment. J’entre sans frapper. La panique ne frappe pas aux portes, elle les ouvre, les enfonce, avec tous ces cœurs qui tambourinent, et ces jambes qui flagellent, et le temps qui est déformé comme un paysage par la tempête. « Ambre ne va pas bien, il faut l’emmener aux urgences. » J’ai besoin d’eux. Besoin de savoir qu’ils sont là, prêts à nous aider. L’année dernière, c’est Raph qui nous avait trouvé un rendez-vous en urgence à la clinique Dexeus. Et c’est Leo qui nous avait accompagnés pour jouer les traductrices. « ¿ Que pasa ? » demande-t-elle, sautant sur ses pieds. Je lui explique confusément la situation. Raph ne dit rien, mais il est déjà en jean et baskets, prêt à décoller.  

Nous retournons ensemble au salon. Marianne est là, avec Ambre qui continue de respirer bizarrement. Sa petite poitrine est creusée. Pourquoi est-ce que sa poitrine est creusée ? Pourquoi est-ce qu’il y a une cavité, entre les poumons de ma fille ? Je ne peux m’empêcher de regarder cette cavité. Elle aspire mon âme de jeune papa. Marianne la lionne sonne le départ. Il reste des bas de pyjamas, des cheveux ébouriffés, des visages qui portent l’empreinte de l’oreiller. Tout ce cortège ensommeillé vit dans la crainte et le silence. Mais soudain, alors que Raph vient d’ouvrir la porte d’entrée, je sens une odeur. Une odeur familière, très forte. « Attendez » dis-je. Je baisse le pantalon de ma fille et tire sa couche sur le côté. Quelque chose est en train de sortir. Ou plutôt, essaie de sortir. On dirait une créature vivante, qui passe sa tête par un trou trop étroit pour elle. Ma fille n’est pas en train de s’étouffer, elle est constipée. Vous épargnant les détails de l’opération, nous l’aidons à éjecter la créature. Au bout de quelques minutes, le creux entre ses poumons se comble, et son visage retrouve une couleur normale. C’était donc bien cela : elle poussait pour faire caca. Poussait si fort, qu’elle s’est mise à suffoquer. Si nous n’avions pas eu aussi peur, cela pourrait prêter à rire. 

Notre avion décolle à 13h (fermeture des portes à 12h30). En prenant le métro (ligne jaune jusqu’à Urquinaona), puis le car, nous en avons pour une heure environ. Afin de ne prendre aucun risque, nous décidons de partir à 9h30 de l’appartement. Embrassades, promesses de revenir l’année prochaine, et nous voilà en route pour l’aéroport, avec notre poussette et nos deux valises. Le ciel est bleu, il doit faire une vingtaine de degrés. Apparemment, à Paris, c’est l’hiver. C’est souvent le cas, lorsque nous revenons de Barcelone. Comme si le temps lui-même voulait nous faire comprendre que les vacances sont terminées. Nous marchons jusqu’à la station Alfons X, puis descendons les marches du métro. Je fais des allers-retours, pour porter les valises et la poussette. Je l’ai déjà dit, mais c’est le métier d’un papa : faire des allers-retours, porter des choses lourdes. Nous utilisons nos derniers tickets et marchons vers le quai. Il y a beaucoup de monde, bien plus que d’habitude. Un mauvais pressentiment s’infiltre en moi, alimenté par le souvenir de nos péripéties à Barcelone. Je regarde le panneau d’affichage : le prochain métro est dans 10 minutes. En-dessous, il y a un message en catalan. Je n’en parle pas un mot, mais je comprends qu’il y a un problème sur le réseau. Mon mauvais pressentiment se confirme. L’aventure de ce matin aurait dû me mettre la puce à l’oreille. 

Sans surprise, le métro arrive bondé. La foule force pour rentrer, on dirait la ligne 13 en heure de pointe. J’entends les portes biper, puis claquer devant moi. Dix jours de repos, de calme, de bonheur, martyrisés par ce claquement métallique. Le métro s’en va. Je regarde le panneau d’affichage : 13 minutes. De toute évidence, nous ne pourrons pas prendre le prochain non plus. Il faut sortir. Vite. Trouver un autre moyen de gagner l’aéroport. Sur le chemin, j’appelle Raph et lui demande de contacter les compagnies de taxi, en précisant que nous avons besoin d’un siège-auto. On ne va pas mettre bébé dans le coffre. Couloir, marches, valises à porter, poussette à porter. Transpiration. Rester calme, ne pas s’énerver. Coup d’œil vers ma montre : il est 10h15, l’avance que nous avions prise a fondu. Et Raph ne m’a toujours pas rappelé. Ah, enfin ! Je décroche. Un taxi peut venir nous chercher en bas de chez eux dans 30 minutes, dit-il. Une éternité, mais s’il est à l’heure, nous pouvons encore avoir notre avion. Il est risqué de tout miser sur la ponctualité d’un taxi espagnol, mais nous n’avons plus le choix. Pase lo que pase. 

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