Les mères sont des guerrières de l’ombre
novembre 13, 2021
Un jour, tu es jeune, tu sors, tu reçois des fleurs à ton bureau, oui je t’envoyais des fleurs, et on partait en amoureux aux quatre coins du monde, on se faisait des cinés, des expos, des week-ends, juste tous les deux, backpack sur l’épaule et main dans la main, ivres d’insouciance et de liberté. À 25 ans, il n’y avait que toi. Que nous. On allait au resto, alors tu te faisais belle, oh rien d’extravagant, un peu de blush sur les joues, du rouge à lèvres, quelques gouttes de parfums, tu prenais le temps, et moi aussi je prenais le temps – de t’admirer, de te complimenter, de t’envoyer des fleurs, oui.
Et puis il y a eu un cri. Un éclat, dans le ciel de nos vies. En quelques secondes, tout a changé, l’univers entier bousculé, transformé par l’apparition d’une nouvelle étoile. Blonde, yeux bleus, dents du bonheur. Et aujourd’hui il y en a deux, deux étoiles qui tourbillonnent et défient les lois de la physique – de nos physiques, tout au moins, mis à mal par trois ans de nuits pourries, de courses folles et d’angoisses en tout genre.
Alors on s’oublie, c’est vrai. J’oublie de te regarder, de remarquer que tu es allée chez le coiffeur, j’oublie à quel point tu aimes les fleurs, et pas simplement celles cueillies par notre fille au parc. Les fleurs qui veulent dire autre chose. Qui vont de mon cœur vers le tiens.
Les mères sont des guerrières de l’ombre. Tu es une guerrière de l’ombre. Quand tu te lèves la nuit, le sein douloureux car Swann t’a mordue, et que tu nourris, malgré tout, et que le lendemain tu prends le RER et vas travailler, et que tu rentres, et qu’on doit baigner, cuisiner et jouer, et qu’il est déjà 21 heures, et que toutes les journées filent à ce rythme effréné. Que reste-t-il pour nous ? Pour nous deux ? Des instants fugaces, dérobés au temps qui file. Je dois les saisir. Te dire que tu es belle, entre deux couches, deux biberons, au milieu de la nuit et du salon éclairé de lune. Je dois t’aider à te rappeler, par des regards, des gestes tendres, des attentions oubliées, que tu es femme, avant d’être mère.
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