Le rhume heureux
octobre 29, 2019
Bébé est tombée malade et m’a refilé son rhume. Ou l’inverse. Je préfère la première version, mais le résultat est le même : c’est un concert de pleurs, de nez bouchés et de bronches qui toussent. Seule Marianne semble échapper à l’infection. Elle échappe toujours à l’affection, c’est une guerrière.
C’était vendredi soir. Je n’avais pas encore de symptômes flagrants, mais je sentais que quelque chose se passait en moi – la petite brise frissonnante, qui vient en éclaireuse. Je me suis couché avec l’espoir que cette brise s’apaiserait d’elle-même. Qu’ouvrant les yeux au petit-matin, je trouverais un ciel dégagé, éclatant de santé. Douce illusion : je me suis réveillé avec une douleur aigue au crâne, et la sensation qu’on avait bouché mes canaux de respiration avec du mortier. Et, comme si cela ne suffisait pas, bébé semblait atteint du même mal. Ou alors (car j’étais dans le noir, je ne voyais pas bien), quelqu’un l’avait remplacée dans la nuit par un petit cochon.
Avant, quand j’étais malade, il ne fallait rien me demander. Dès l’apparition des premiers symptômes, je dégainais une sorte de carte magique, et passais mon tour – de vaisselle, de cuisine, de salle-de-bain. Oui, je pouvais tout à fait décider de ne pas prendre de douche. De vivre sale, les cheveux gras, dans mon pyjama qui sentait la sueur. J’avais la liberté magnifique du non-parent, qui peut attendre la guérison en disparaissant du monde, car le monde n’a pas besoin de lui pour avancer. Avec un bébé, malheureusement, cette carte magique ne fonctionne plus. On peut toujours décider de ne pas se laver ou de faire une grève de la faim, mais on ne peut pas ne pas donner le biberon. Il faut être là, toujours. Même malade. Même épuisé. Il n’existe pas d’arrêt de travail pour parents. C’est un CDI sans aucun avantage social, ni possibilité de rupture.
J’ai donc passé la journée dans la morve. La mienne, celle de ma fille. Afin que son rhume ne dégénère pas en bronchiolite, nous l’avons mouchée toute les trois heures. Pour ceux qui l’ignorent, moucher un bébé, ça signifie lui envoyer des jets de sérum physiologique dans les narines, puis aspirer la morve avec un tuyau. Expérience charmante, généralement partagée avec tout le voisinage. Dans notre couple, c’est moi Dyson. Il en faut un. Je mets le tuyau dans ma bouche, et remplis mes poumons d’air contaminé. Grâce à un processus savant, heureusement, la morve reste bloquée dans un compartiment prévu à cet effet, et je n’ai pas à l’avaler. Parallèlement à cette activité d’aspirateur, j’ai de mon côté multiplié les inhalations, breuvages de grand-mère et autres lavages à l’eau de mer, dans l’espoir de vaincre les microbes d’ici la nuit. En vain. Je me suis couché avec l’impossibilité de respirer par le nez, et l’impression que je déglutissais de la lave.
Il est 4 heures du matin. J’ai mal à la tête, tout mon cerveau doit être rempli de mucus. Dans son lit, bébé se tortille, renifle, tousse. Est-ce qu’elle dort ? J’attrape mon téléphone portable, et braque la lumière en sa direction. Ses yeux grands-ouverts me sourient. Je me retiens de rire. L’idéal serait que nous nous rendormions tous les deux jusqu’à 8 heures, mais je crois que c’est impossible – le rhume a gagné. Tout doucement, pour ne pas réveiller Marianne, je me mets debout et prends Ambre dans mes bras. Le salon est plongé dans la pénombre. À 4 heures du matin, je ne m’attendais pas à ce qu’il fasse grand jour. J’allume quelques lumières, déplie son tapis de jeu sur le sol, puis me prépare un petit-déjeuner. J’ai faim, comme si je revenais d’une journée à la plage et non d’une nuit de sécrétions nasales. Sur ma tablette, je lance Bein Sport. C’est bien le seul avantage de ce combo rhume-bébé : je peux regarder en direct les Playoffs NBA.
Je m’installe devant Denver Nuggets – San Antonio Spurs. C’est l’ultime match de la série, malheur au perdant. Un bol de chocolat chaud fume devant moi, prêt à accueillir mes croissants qui cuisent au four. Avant de devenir papa, il m’arrivait de regarder la NBA en rentrant de soirée. Ce sont les mêmes sensations. Les mêmes lumières dans la rue, les mêmes blagues des commentateurs. Si bébé était un peu plus silencieuse, je pourrais même croire que je suis revenu dans le passé, quand je ne me couchais pas encore à 22 heures le samedi. Cependant, bébé n’est pas silencieuse. Elle joue avec ses maracas, tousse, renifle. Il faudrait que je la mouche, mais elle risque d’hurler et de réveiller tout l’immeuble. Je décide de lui donner un bain. La vapeur dégagera ses poumons en douceur. Je quitte un instant mon match NBA et prépare la salle-de-bain. Pour ne pas qu’elle ait froid, je mets en marche le chauffage d’appoint. Dans quelques minutes, il fera un agréable 25 degrés. J’étends une serviette sur la table à langer, puis installe sa petite baignoire dans notre douche à l’italienne. Moi aussi je prendrais bien un bain ou une douche chaude, me dis-je. Et pourquoi pas ? Je replie la mini-baignoire, me déshabille, déshabille bébé, puis entre avec elle sous la douche. Je la serre fort contre moi, pour ne pas qu’elle glisse. Je ne ferais pas plus attention avec une fiole de nitroglycérine dans les mains. J’ajuste le pommeau, pour que l’eau arrive sur son ventre sans éclabousser son visage. Elle pousse des éclats de rire, essaie d’attraper les bulles de savon qui flottent dans la brume orange. Et moi, je me sens vivant, je ris avec elle. Nous avons le rhume heureux.
1 comment
Comment by stephanie
stephanie octobre 30, 2019 at 2:26 am
Oui c’est tellement ça mais par contre la gastro c’est le pire! Déjà qu’il faut faire attention que bébé puisse s’alimenter et surtout boire pour sa santé et que nous même on est abonné au toilette.