Le réveil humain

avril 3, 2019

Hier, j’ai fait la fête. À l’ancienne. Potes en chaussettes qui dansent sur le canap’, bouteilles vides qui s’empilent dans l’entrée, textos des voisins du bas : « S’il vous plaît, ne sautez pas trop fort. » La seule chose qui différait, par rapport à ma vie d’avant, était la petite chose qui dormait dans la chambre, pendant que je m’égosillais sur Michel Sardou dans le salon. Ma fille est un bébé passe-partout, capable de dormir n’importe où, n’importe comment. Seul avantage d’avoir vécu deux mois dans les travaux, entourés d’Ukrainiens, de scies sauteuses et de marteaux piqueurs. J’ai fait la fête jusqu’au bout de la nuit (c’est-à-dire 2 heures), et me suis couché avec la tête qui tournait et la sensation d’avoir retourné le monde. Ma fille dormait à poings fermés, c’est à peine si je me souvenais de son existence.

Soudain, le réveil sonne. Je ne me souviens pas l’avoir programmé. Je mets quelques instants à ouvrir les yeux, à reprendre conscience. Ce n’est pas le réveil. Ou plutôt, c’est un réveil, mais d’un autre genre. Un réveil qui ne se paramètre pas. Qui peut sonner à n’importe quelle heure, de nuit comme de jour. Et qui ne s’éteint pas en appuyant sur un bouton. Un réveil de fous, devez-vous penser. Certainement, il faut être un peu fou pour devenir parents. Mais c’est une belle folie. En ce moment, le réveil émet des bruits étranges. On dirait ceux d’un petit animal, piégé quelque part. Je regarde mon téléphone. 7h10. Ça va, bébé a été sympa. Je me tourne vers Marianne, qui dort à poings fermés. Ou qui fait semblant de dormir à poings fermés. Je l’ai entendu donner la tétée vers 4 ou 5 heures, je peux bien la soulager ce matin. Allez, debout.

Qui me parle ? Qui m’a dit de me lever ? Ce n’est pas que je ne veux pas, mais mon corps refuse d’obéir. Comme si mes bras, mes jambes, mon dos, et chacun de mes muscles et de mes os étaient entrés en sédition. Que mon esprit avait abandonné son poste de commandement. Ta fille a besoin de toi, alors bouge tes fesses. Avant, nulle force au monde n’aurait pu me faire quitter ce lit. J’aurais laissé mon corps mener sa petite mutinerie, et aurais attendu que les choses rentrent calmement dans l’ordre. Mais, avant, je n’avais pas besoin de nourrir mon réveil. Il était sous perf, branché à sa prise de courant. Et je n’avais pas non plus besoin de le changer, c’était un compagnon très propre. Pas comme ce nouveau réveil, qui se met à sonner et vibrer dès qu’il a les fesses sales.

Je sors une jambe du lit. Puis l’autre. J’ai mal aux articulations. Et ma tête cogne, comme si un mini groupe de rock jouait à l’intérieur. Je marque une pause, puis pousse sur mes cuisses pour me mettre debout. Ça tangue. Je stabilise mon équilibre et me dirige à tâtons vers le berceau. J’ai la nausée, mais je pense que quelqu’un ne serait pas très contente si je vomissais dans le berceau de sa fille. La chambre est plongée dans la pénombre, seul un mince rayon de lumière éclaire le berceau. Les yeux de bébé sont grand ouverts, fixés sur moi. Ils brillent comme ceux des chats dans la nuit. Je me penche, l’attrape dans mes bras. Elle me semble beaucoup plus lourde que d’habitude. Je la sens s’étirer dans mes bras, son petit corps tout chaud de sommeil. À tâtons, toujours, je marche le long du mur jusqu’à la porte, puis sors de la chambre. Le salon baigne dans un jour morne, légèrement bleuté. Ça sent l’alcool, je vois les traces de vodka briller à la lumière. Ça me fait bizarre d’être là avec bébé. Comme s’il y avait quelque chose d’incohérent. De déplacé.

Je traverse le salon vers l’égouttoir, où s’empilent les biberons. Bébé se tord dans mes bras : elle a faim. J’ai l’impression d’être sur un bateau en pleine tempête, et de devoir serrer ma fille contre moi pour ne pas qu’elle passe par-dessus le bord. La chemise d’un pote est posée sur le dossier d’une chaise, il y a des traces de sang. J’espère que personne n’est mort hier soir. D’une main, je prépare le biberon. La partie la plus délicate est de verser la bonne quantité d’eau sans en renverser partout. J’en profite pour boire une gorgée d’Évian au goulot. Vus les reflux qui me secouent l’estomac, je changerai de bouteille pour le prochain biberon. Je m’effondre dans un fauteuil, installe Ambre au creux de mon bras, puis enfourne la tétine dans sa bouche. Elle ferme les yeux, se met à téter goulument. Soudain, je crois entendre un bruit. Une sorte de ronflement, comme si un grizzly dormait sur ma mezzanine. Sans cesser de nourrir bébé, je me lève et me dirige vers l’escalier. Mes pieds collent sur les marches, c’est très désagréable. J’arrive en haut. Un de mes amis est allongé par terre, la bouche grande ouverte. Il porte mon t-shirt Super papa. « On en reparlera quand il devra donner le biberon un lendemain de soirée » dis-je à ma fille. Je crois qu’elle est d’accord, puisqu’elle me sourit. Un sourire qui vaut toutes les grasses mat’ du monde.

3 comments

  1. Comment by Emilie

    Emilie Reply août 7, 2019 at 2:47 pm

    Salut, je viens de tomber par hasard ou presque sur ton blog, c’est une belle découverte 🙂

  2. Comment by Papa Plume

    Papa Plume Reply août 7, 2019 at 2:54 pm

    Salut Emilie, merci c’est gentil 🙂 Comment es-tu tombée dessus, ça m’intéresse ?

  3. Comment by Stephanie Chariau

    Stephanie Chariau Reply janvier 21, 2020 at 12:52 pm

    Bonjour. Merci pour ton regard sensible et poétique sur ce petit quotidien tumultueux. Je nous revois jeunes parents dans tes mots. C est doux et bon. Je souris. Merci.

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