Ça te dit le bus ?
mars 14, 2019
Face à moi, les marches. Une trentaine, qui s’enfoncent dans la gueule sombre du métro. Je cherche un ascenseur, un escalateur – un quelconque outil mécanique qui m’éviterait de me casser le dos. Rien. Étonnant. Avant de me lancer, je regarde bébé. Elle roupille, emmitouflée dans son nid d’ange. Un instant, j’aimerais bien qu’elle ouvre les yeux, qu’elle se rende compte des efforts que son papa déploie pour elle. J’attrape la Yoyo, bon sang c’est lourd quand même. Je me demande comment font les mères qui ne soulèvent pas de la fonte tous les matins. Et c’est encombrant, je vois à peine où je pose les pieds. Si une petite vieille monte en sens inverse, les yeux sur ses chaussures, nous aurons un problème. Heureusement, il n’y a pas de petite vieille. Juste un groupe d’ados qui s’écartent pour me laisser passer. Mes muscles brûlent, j’arrive enfin en bas, repose la poussette sur le sol. Un peu fort, elle rebondit. Petit coup d’œil vers bébé : elle roupille toujours. Je pourrais jeter la Yoyo dans les escaliers, je ne sais pas si ça la réveillerait.
Je reprends un instant mon souffle, fais craquer quelques vertèbres, puis me dirige vers les tourniquets. Il y a une porte spéciale pour les gens handicapés ou très encombrés. Je me demande si c’est une provocation de la SNCF. Ou une mauvaise blague. Parce que, si une personne en fauteuil arrive à descendre ces marches, je ne suis pas sûr qu’elle ait besoin d’une « porte spéciale ». À mon avis, elle aura une sorte de bouton magique pour sauter par-dessus, ou la faire exploser avec des rayons laser. Moi, je n’ai pas de bouton magique. Je m’approche et regarde comment l’ouvrir. Apparemment, il faut demander à un agent. Je regarde autour de moi, ce désert de néons froids et sales, et soupire très fort, comme si j’espérais que le PDG de la RATP m’entende. Puis, livré à moi-même, je rabats le guidon de ma Yoyo et me glisse entre les portillons. Elle passe tout juste. Un centimètre de plus, et j’étais bon pour faire demi-tour et remonter l’escalier avec ma poussette. Frappé par cette vision, je m’empresse d’avancer. Deux petits pas, jusqu’à la barre métallique du tourniquet. Il faut que je colle mes cuisses contre la barre, pour passer en même temps que ma fille. Ce serait embêtant qu’elle se retrouve d’un côté et moi de l’autre. Ayant assuré ma position, très agréable au demeurant, je sors un tiquet et me contorsionne pour le valider. Puis je pousse vers l’avant. Un geste sec, fruit d’une coordination parfaite entre toutes les parties de mon corps. Et je nous sors de là. Avant de devenir papa, je ne me serais jamais imaginé être fier de passer un tourniquet de métro.
Plus de temps à perdre, je braque à gauche et m’engouffre dans un nouveau couloir. La Yoyo est une poussette maniable, adaptée aux méandres souterrains. Enfin, j’arrive sur le quai. Il y a du monde, tous les gens sont debout, prêts à se battre pour entrer dans le prochain convoi. Je me positionne stratégiquement, près du distributeur. Je sais qu’à cet endroit les portes s’ouvriront pile devant nous. Mes mains sont agrippées au guidon, mes yeux rivés sur le panneau de signalisation. Je dois ressembler à un pilote de F1 à quelques secondes du départ. Soudain, une lumière embrase le tunnel, et, dans un grondement de rouille et de métal, la vieille bête sort de son trou. Comme prévu, les portes s’ouvrent devant moi, vomissant un flot de passagers qui, rouges et fumants, semblent revenir des enfers. Je laisse ce flot s’écouler, puis, appuyant sur le guidon, soulève l’avant de la Yoyo. Alors que je m’apprête à monter, une femme me bouscule et se jette dans le wagon. Je la regarde, éberlué. Va-t-elle se retourner ? S’excuser ? Non, elle s’est agrippée à la barre du métro, et passe une main dans ses cheveux noirs, pour les recoiffer. Les portes bipent, trop tard. Des gens courent dans tous les sens, s’agglutinent pour entrer. Je consulte le panneau de signalisation, le métro suivant est dans une minute. Claque, les portes se ferment devant moi. La femme a le visage écrasé contre la vitre, ses yeux me regardent. Je me demande à quoi elle pense. Sans doute à rien, elle veut juste rentrer chez elle. Retrouver ses enfants.
Le métro suivant est plein à craquer, et celui d’après également. Les mêmes bruits se succèdent : rails qui grincent, portes qui bipent, parisiens qui s’énervent. Avant, je me serais énervé aussi, j’aurais foncé dans le tas. Mais avant, je n’avais pas de bébé. Et je n’avais pas de poussette encombrante. Devenir papa, c’est apprendre à faire des concessions, à abandonner. Abandonner d’avoir un appartement parfaitement rangé. D’aller à une soirée où tous nos potes seront présents. De prendre le métro. Je regarde ma fille, toujours blottie dans les bras de Morphée : « Ça te dit le bus ? »
#papaplume #thefrenchdad
I (almost) took the metro with my baby
I am watching the steps. Around thirty, which sink into the dark throat of the metro. I turn my head, and look for an elevator, an escalator – any mecanic tool that could save my poor back. Nothing. Surprising. Before begining my descent, I look at my daughter. She is snoozing, wrapped up in her baby nest. For one second, I wish she opened her eyes, to realize the efforts her dad deploys for her. I catch the stroller, damn it’s heavy. I wonder how mothers who don’t go the gym every morning do. And it’s cumbersome, I can hardly see my own feet. If an old lady climbs in the opposite direction, her eyes on her shoes, we may have a problem. Fortunately there is no old lady. Just a bunch of teenagers, who move away to let me pass. My muscles burn. I finally touch ground, put the stroller back down on the floor. A bit too strong, the stroller bounces twice. Quick glance at my daughter : she’s still sleeping. If I threw the stroller in the staircase, I am not even sure it would wake her up.
I take a few seconds to catch my breath, let my spine crack, then head down to the turnstile. There is a special gate for disabled or overloaded people. I wonder if it’s a provocation. Or a bad joke. Because, if someone in a wheelchair gets down those stairs, I doubt she or he will need a “special gate”. I am pretty sure this person will have some sort of magical button to jump over the gate, or detonate it with laser beams. As I don’t have any magical button, I get closer to the gate and read the instructions. Apparently, only a railway agent can open it. I look around me, this desert of cold and dirty neons, and sigh very loudly, as if I were hoping that the CEO of the RATP would hear me. Left to myself, I flap the handlebars of my Yoyo and slip between the gates. The stroller is just the right size. One additionnal centimeter, and I would have had to turn around and climb the stairs again. Struck by this vision, I hasten to move forward. Two small steps, up to the metal bar of the turnstile. I have to stick my thighs against the bar, to pass at the same time as my daughter. It would be annoying if she found herself on one side and me on the other. Having assured my position, very pleasant by the way, I take out a ticket and contortion myself to validate it. Then, I push forward. A sharp movement, the result of perfect coordination between all parts of my body. And I’m getting us out of here. Before I became a dad, I never thought I’d be proud to pass a subway turnstile.
No more time to lose. I turn left and rush into the corridor. The Yoyo is a handy stroller, adapted to the underground meanderings. I finally get to the platform. It is crowded, people look ready to fight to get into the next convoy. I position myself strategically, near the vending machine. I know that, in this very place, the doors will open right in front of us. My hands are clinging to the handlebars, my eyes riveted on the sign. I must look like an F1 driver a few seconds from the start. Suddenly, a light whitens the tunnel, and, in a rumble of rust and metal, the old beast comes out of its hole. As expected, the doors open before me, vomiting a flood of passengers who, red and fuming, seem to come back from the underworld. I let this flow pass, then, pressing the handlebar, lift the front of the Yoyo. As I prepare to board, a woman shoves me and throws herself into the wagon. I look at her, amazed. Is she going to turn around? To apologize? No, she has clinged on to the subway bar, and, with her other hand, she tries to fix her hair, tangled by the battle. The doors start beeping, people run in every direction, agglutinate to enter. I’m checking the traffic sign, the next subway is in a minute. The doors close before me. The woman’s face is crushed against the glass, her eyes are looking at me. I wonder what she’s thinking about. Probably nothing, she just wants to go home.
The next subway is chock full, and the following one also. The same sounds follow each other: squeaky rails, doors that beep, Parisians who get angry. Before, I would have gotten mad too, I would have charged in. But, before, I didn’t have a stroller. Nor a baby. To become a dad is to learn to make concessions, to give up. To give up having a perfectly tidy apartment. To give up going to a party where all our friends will be present. To give up taking the subway. I look at my daughter, still nestled in Morpheus’s arms: « Do you like the bus? »
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